Le 3O juillet dernier, les organisateurs du jeu de loterie américain Mega Millions annonçaient qu’un ticket acheté dans l’Illinois avait les six bons numéros, et que, sur la base des ventes réelles, la valeur finale du gros lot record de 1,3Mrd de dollars avait été sous-estimée de près de 100 millions. Une conséquence du sophisme du joueur.

Quand les cagnottes des loteries et des machines à sous atteignent un certain montant, les ventes de tickets explosent et de longues files se forment devant les machines à gros jackpot. Après une longue période sans gagnant, les joueurs se disent que le gros lot ne devrait pas tarder à tomber.

Pourtant, leur raisonnement est faux. Chaque tirage effectué, chaque partie jouée est un évènement aléatoire, que le jackpot soit d’un million ou d’un milliard. Dans les deux cas, les chances de l’emporter sont les mêmes. La croyance qu’un jackpot doit tomber s’appelle le sophisme du joueur.

Si vous avez écouté de la musique sur l’une des deux premières versions de l’IPod, vous avez forcément constaté que la fonction Shuffle, le mode aléatoire de sélection, générait régulièrement des rafales de titres d’un même interprète, vous portant à soupçonner Apple de biais artistiques dissimulés. Mais comme on peut le voir dans le jeu du pile ou face, les longues suites de répétitions sont la règle dans un choix vraiment aléatoire.

En se plaignant d’un favoritisme inexistant, les clients d’Apple versaient dans le sophisme du joueur, amenant Steve Jobs à déclarer: « Nous allons rendre la fonction aléatoire moins aléatoire pour qu’elle paraisse plus aléatoire ». Ce qu’il fit pour les versions suivantes de l’IPod.

Le sophisme du joueur est une impulsion humaine très puissante. Nous aimons nous sentir maitre de notre environnement. Quand les évènements sont aléatoires, nous sentons que ce contrôle nous échappe. Quand nous en avons la maitrise, ils cessent de l’être. C’est ce qui nous conduit à déceler des schémas là où il n’y en a pas. C’est ce qui explique aussi difficulté de notre cerveau à simuler l’aléatoire. Mis en sa présence, nous ne le reconnaissons pas, nous l’interprétons même comme non aléatoire.

En dernière analyse, le sophisme du joueur est lié à notre instinct de survie. Dans le sillage des travaux d’Erving Goffman et de Foucault sur l’enfermement, une expérience impressionnante a été menée dans les années 70 pour évaluer le sentiment de maîtrise chez les pensionnaires âgés d’une maison de retraite. Deux groupes avaient été constitués : le premier avait le loisir de choisir la décoration de sa chambre, le second subissait une décoration imposée.

Après 18 mois, les résultats furent spectaculaires : Pour les pensionnaires du premier groupe, le taux de mortalité était de 15% et de 30% pour ceux du second groupe. Le sentiment de maîtrise nous maintient en vie. S’en trouver déposséder tue.

Dans la compréhension de l’aléatoire, il semblerait qu’Orpea fasse aussi bien que le Groupe Partouche.