Dans le cadre d’une étude très sérieuse parue il y a quelques années, l’aptitude à l’orthographe des élèves d’une école primaire a été testée, la taille de leurs pieds mesurée et les deux valeurs comparées. Il fut constaté que le nombre de fautes commises par les élèves à une dictée de quelques lignes était inversement corrélé à la pointure de leurs chaussures.

On sait bien que si deux grandeurs sont liées, ils se peut qu’il n’y ait aucune causalité entre elles, qu’aucun lien logique ne puisse être établi entre les deux variables. Mais il se peut aussi qu’une causalité indirecte intervienne, passant par une autre grandeur. Dans un tel cas, on appelle celle-ci variable de confusion.

Dans l’exemple ci-dessus, la variable de confusion est évidemment l’âge : un élève de CM2, dont les pieds sont plus grands que ceux de son petit camarade de CP, fera aussi moins de fautes d’orthographe que lui.

Il est également largement admis que la prise d’antibiotiques fatigue. La variable de confusion, la maladie, est là encore évidente : la fatigue est une conséquence de la maladie, et celle-ci la raison pour laquelle nous prenons des antibiotiques.

Les variables de confusion prospèrent en finance. Car les marchés financiers adorent les corrélations. Il faut bien tout expliquer. Les marchés financiers, pratiquent en permanence l’art très répandu du one-upmanship qui se comprend comme la tendance à vouloir trouver, une explication à tout, même au prix d’une surenchère dans l’absurdité. Une corrélation à la mode associe l’inversion de la courbe des taux des emprunts d’Etat à l’imminence de la récession économique.

On comprend l’idée : quand un cycle de resserrement monétaire est déjà bien entamé, les taux courts, qui ont déjà beaucoup monté, sont perçus comme proches de leur point haut, à la différence des taux longs qui se projettent dans le prochain cycle.

L’inversion des courbes américaine et européenne cette année préluderait donc à une récession l’année prochaine, comme elle l’aurait fait aux Etats-Unis en 2019, 2006, 2000 ou 1990, ou en Europe en 2000 et 2008.

La relation parait logique, sauf qu’elle est bien souvent indirecte. Presqu’à chaque fois en effet, des variables de confusion peuvent être repérées :

  • L’inversion de 2019 aux Etats-Unis ? La récession qui suit en 2020 est d’abord due à la pandémie du Covid, par nature inattendue.
  • L’inversion de 2006 ? On ne peut y lire ni la crise des subprimes ni la faillite de Lehman, respectivement détonateur et accélérateur de la récession de 2008.
  • Celle de 2000 ? Elle ne présage pas l’effondrement du Nasdaq, qui précipite la récession de 2001. Elle doit plus à la pénurie des titres longs sur le marché obligataire américain à l’époque.
  • Celle de la courbe Bund en juin 2008 ? La hausse des taux de la BCE le mois suivant pour contrer l’inflation nourrie par le choc pétrolier en est la cause. Elle ne dit rien, au contraire, de la récession qui s’installera quelques mois plus tard.
  • La longue inversion de 1990-1992? la réunification allemande,  la décision de convertir 1 Deutsche Mark pour 1 Ostmark, et l’invasion de Koweit génèrent un forte inflation déclenchant un réponse monétaire agressive de la Bundesbank et la récession en Europe. Autant d’évènement inédits qu’on serait bien en peine de relier à la vertu prophétique d’une courbe de taux.

N’y a t-il pas néanmoins un lien somme toute logique entre la hausse des taux courts et la dégradation des conditions de crédit inhérente à toute récession? La corrélation paraît moins indirecte, mais le niveau des taux et le maintien de l’accès au crédit sont deux choses différentes. Les spreads de crédit, la liquidité, l’appétit pour le risque comptent tout autant.

Surtout, la baisse des taux longs est un élément favorable aux emprunteurs de long terme que sont les Etats voire les entreprises. L’inversion de la courbe swap en revanche, la courbe interbancaire, pénalise les prêteurs naturels longs que sont les banques. mais elles peuvent aussi en profiter pour optimiser leur passif en émettant des titres subordonnés par nature à très long terme.

Que nous dit en définitive  l’inversion d’aujourd’hui sur la prochaine récession ?

A peu près autant de choses que la consommation d’huile d’olive sur la santé humaine. L’espérance de vie des producteurs de Cannes est certes plus élevée que les anciens mineurs de Lens, mais de multiples facteurs, comme le niveau de vie ou l’accès aux soins, peuvent aussi bien expliquer ce constat que la différence de régime alimentaire entre les deux régions.

Seule certitude : deux grandeurs sont liées par une relation de cause à effet quand elles restent liées même si toutes les variables de confusion potentielles sont sous contrôle. C’est loin d’être le cas pour la relation courbe -récession.