La défunte reine Elizabeth II, on l’a beaucoup dit, a su incarner aux yeux du monde un éternel britannique en mêlant avec constance et subtilité tradition et modernité.
La charge symbolique de la Banque d’Angleterre est évidemment moins forte, mais dans ses fonctions bien cadrées, la vieille dame de Threadneedle street a toujours su, elle aussi, associer ces deux qualités.
D’abord la tradition. Voire l’archaïsme. Fondée en 1694, une vingtaine d’années après la Riksbank de Suède, la Banque d’Angleterre a longtemps utilisé une antique monnaie d’échange, le bâton de taille partagé.
Le bâton de taille est la plus ancienne méthode de comptage de l’humanité. On a trouvé un vestige préhistorique en os de babouin vieux de 35 000 ans dans une grotte du Swaziland. C’est le plus ancien artefact mathématique du monde. L’os de Lebombo est gravé de 29 lignes, correspondant sans doute à un cycle lunaire.
Cette pratique utilisée pour le dénombrement a en revanche été abandonnée dès le 3ème millénaire av. JC quand les comptables mésopotamiens tracèrent des repères sur les premières tablettes cunéiformes en argile. Mais pas par les banquiers anglais, qui l’ont conservée durablement.
La Banque d’Angleterre utilisait des bâtons de comptage préfabriqués dont la valeur monétaire était définie par la distance séparant une encoche de la base. Avec comme repères : la largeur de la paume d’une main valait 1000 £, l’épaisseur d’un pouce 100£, et celle de l’auriculaire 20£.
La procédure utilisée par la Banque reposait sur un système de double taille. On brisait le bâton de bois par le milieu, créant ainsi une taille, ou « stock », et une contre-taille, ou « foil ». Selon l’échange, on gravait une valeur sur la taille qu’on reportait sur le contre-taille tenant lieu de reçu.
Tout créancier de la Banque d’Angleterre se voyait remettre un « stock, » marqué d’une encoche le montant prêté. C’est l’origine des termes « stockholder » et « stockbroker ».
En 1834, La Banque décide d’abandonner cette pratique en faisant bruler tous les bâtons de bois dans une chaudière du palais de Westminster, siège du gouvernement britannique. Un gigantesque incendie s’en suivit, réduisant en cendre le parlement
Même les subprimes, des produits financiers beaucoup plus sophistiqués que les archaïques bâtons de taille, n’ont pas réussi cet exploit de littéralement provoquer l’effondrement des institutions d’un pays.
Archaïsme du bâton de taille, et modernité voire avant-gardisme quand en 1969 fut introduite, pour la décimalisation de la monnaie britannique, une nouvelle pièce de 50 pence révolutionnaire appelée « heptagone multilatéral curviligne ».
Cette pièce à sept côtés, pensée pour faciliter la vie des personnes aveugles et malvoyantes, suscita une importante vague de protestations dans le pays au motif qu’elle offensait la reine en la défigurant.
Elle est aujourd’hui un élément distinctif et choyée du patrimoine britannique.