« L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris ». Il est assez probable que Bruno Lemaire ait à l’esprit la formule favorite de Jean Baptiste Colbert, son lointain prédécesseur, dont le nom orne le bâtiment principal de Bercy. Mais en dépit de l’art de Colbert, l’oie cria beaucoup. Les jacqueries fiscales furent nombreuses au 17ème, notamment quand le puissant ministre de Louis XIV porta le rendement des taxes indirectes à un niveau jamais atteint, profitant d’abord aux sous-fermiers généraux, cheville ouvrière d’un système de perception honni.

L’oie continue de crier aujourd’hui, à chaque réforme fiscale. La révision récente de l’objectif de déficit public de 4,9% à 5,6% pour l’année 2024 associée à un endettement historique rend pourtant crédible l’hypothèse d’une hausse des impôts. Encore faut-il pouvoir le faire.

Quand Fitch a dégradé la note de la France l’année dernière, l’agence a notamment motivé sa décision par la fragilité du consensus social français rendant très difficile la levée de nouvelles ressources fiscales. Sous Colbert,«pour le roi sans la gabelle » fut le principal cri de ralliement des révoltés. Nul besoin de préciser qu’Emmanuel Macron ne bénéficie pas d’un tel traitement de faveur. Le retour de la haine dans le contexte politique français limite clairement la capacité d’action du pouvoir. Comme le taux de prélèvement obligatoire du pays, qui, avec 45,4% en 2022, reste le plus élevé de toute la zone euro, à l’exception du Danemark, qui affiche toutefois un endettement de seulement 31% de son PIB. En France le levier de la dette est grippé.

La situation désastreuse des finances publiques françaises est bien connue. Sans qu’il soit nécessaire de multiplier les chiffres, il est utile de rappeler que seule la France dans la zone euro a connu un endettement public continûment croissant entre 2011 et le début de la pandémie. Situé dans la moyenne des pays de la zone au sortir de la crise financière (87,7% du PIB en 2011) la dette française était à un niveau nettement supérieur en 2019 (97,6% contre 83,9% du PIB). Avec l’Allemagne, l’écart s’accroit davantage : 8 points de pourcentage en 2011 (87,7% vs 79,9%), contre près de 40 points en 2019 (98% contre 60% en 2019). Et pour couper court au roman très en vogue en France d’une sobriété allemande acquise au détriment du niveau de vie de la population, on notera que sur cette période, la richesse par tête des allemands augmente de 4500 $, alors que celle des français régresse légèrement.

La question n’est plus de savoir si la note de la France va être à nouveau dégradée cette année : un placement en perspective négative par Moody’s le 26 avril, et une dégradation par S&P le 31 mai sont presqu’acquis. La question porte plutôt sur le niveau de spread contre Allemagne qui obligerait la BCE à intervenir. Celui de l’Italie est connu (250), pas celui de la France.