Pourquoi Moody’s n’a pas hésité à dire, dès le lendemain de la confirmation par l’INSEE du chiffre désastreux du déficit budgétaire de la France pour 2023, qu’il était improbable que le gouvernement parvienne à son objectif de le ramener en dessous de 3% en 2027 ?
Parce que comme tout le monde, l’agence sait que cet objectif, au demeurant médiocre et qui trahit une étonnante absence de volontarisme, n’est atteignable que selon des hypothèses très optimistes, pour ne pas dire irréalistes. Celle d’une croissance potentielle revenue à sa moyenne des années pré-Covid (1,35%) a été corrigée sous la pression des révisions concordantes d’un grand nombre d’organismes et d’institutions nationales et internationales compétentes.
Une pression salutaire tant l’objectif du gouvernement flirtait avec la supercherie, alors que les grands plans d’investissement déjà mis en place pour financer l’innovation et les transitions numériques et énergétiques n’ont pas encore permis d’enrayer le déclin de l’emploi industriel et la baisse tendancielle des gains de productivité.
Mais l’hypothèse d’une croissance en volume des dépenses publiques contenue à 0,6%, un chiffre qui n’a jamais été atteint dans le passé, devrait être également corrigée alors que l’on sait que la charge de la dette devrait progresser d’au moins 40% à échéance 2027. A défaut, il faudrait que soit spécifiée la stratégie pour y parvenir, ce qui n’est jamais le cas.
Cette inconséquence du pouvoir en France dans la conduite de politiques crédibles et courageuses de maîtrise de ses dépenses vient de loin : dans une lettre à Louis XIV, Colbert expliquait que si l’excès des emprunts nuisait au crédit monarchique, il s’était appliqué à masquer cette situation en affectant « une très grande abondance pour maintenir le crédit».
Enfin, et surtout, la capacité du pouvoir à peser au trébuchet les ressources rares de la croissance et à hiérarchiser entre les priorités, qu’elles aient ou non déjà fait l’objet d’engagements pluriannuels, n’est pas démontrée. Car l’erreur dramatique, souvent commise par le passé, serait de laisser croire que l’on peut tout mener de front, la croissance y pourvoyant.
Un simple calcul permet de bien fixer les idées sur la fragilité de ces ressources rares. Le PIB français était de 2700 Md € en 2023. Une croissance potentielle hors inflation de 1,35%, telle qu’elle figurait avant révision dans les projections à moyen terme du gouvernement génère un montant de l’ordre de 36 Md€ de ressources annuelles nouvelles. Avec un taux de prélèvement obligatoire de 45%, c’est donc seulement 16 Md€ de richesses additionnelles qui restent disponibles chaque année pour les politiques prioritaires, dont celle de la réduction des déficits publics.
La croissance toute puissante est une illusion, l’emprunt et l’impôt des impasses. La solution réside dans la masse des 1500 M de dépenses publiques partagées entre l’Etat, les régimes sociaux et les collectivités locales.