Avertissement : le paragraphe ci-dessous vous divulgache quelques lignes de la trame du film Barbie de Greta Gerwig (du verbe divulgacher, version québécoise du très disgracieux anglicisme spoiler).
A Barbieland, les Barbie sont immortelles. Elles sont aux commandes et les Ken à la plage. A la fin du film, une Barbie décide pourtant de renoncer à son immortalité en rejoignant définitivement le monde réel pour reprendre le contrôle de son identité.
Le Ken qui l’avait accompagnée pendant son périple et qui avait, à son retour, changé la constitution de Barbieland pour y instaurer le patriarcat, finit par renoncer à sa funeste réforme et se réconcilier avec Barbie, qui lui conseille de se trouver une identité propre, détachée de sa conception fusionnelle de la relation Ken-Barbie.
C’est assez précisément le script de l’histoire des marchés financiers depuis quinze ans. Depuis l’ère des taux à zéro jusqu’à l’ère actuelle de la Grande Normalisation des taux.
Le monde enchanté des taux à zéro fut en effet pendant longtemps le Barbieland des marchés financiers. C’était le monde des Barbie-Banques Centrales omnipotentes et omniscientes, décidant de tout, capables même de l’impossible comme les taux d’intérêt négatifs. Sous l’ombre tutélaire des Barbie-Banques Centrales s’épanouissaient des Ken-Markets irresponsables et pleinement satisfaits de leur dépendance à ce douillet matriarcat monétaire aussi protecteur que rassurant.
L’irruption du monde réel dans Barbieland, sous les traits depuis longtemps oubliés de l’inflation, provoqua chez les Barbie Banques Centrales une remise en question aussi profonde que tardive. Elles décidèrent de renoncer à leur toute-puissance pour retrouver leur identité première en se consacrant à la lutte exclusive contre l’incendie inflationniste dont on ne pensait plus qu’il puisse reprendre un jour. Les Barbie-Banques Centrales firent clairement passer le message aux Ken-Markets que le temps béni de l’enfance était dorénavant révolu, qu’il fallait vivre en adultes autonomes, conscients de la valeur des choses, et assumer enfin de payer ses propres factures.
C’est là où le scénario de Barbie-Banques centrales et Ken Markets diffère du film. Car les Ken-Markets étaient très heureux dans le Barbieland financier. Nulle poussée d’hormone mâle ressentie pour en modifier le fonctionnement. Au contraire. Les Ken-Markets firent tout pour faire revenir les Barbies-Banques-Centrales sur leur décision de ne plus se consacrer qu’à leur mission originelle de gardienne de la stabilité des prix. Comme notamment de tenter de les convaincre qu’une récession était imminente, en fabriquant de faux indices comme l’inversion de la courbe des taux.
Mais les Barbies-Banques Centrales ne cédèrent pas à cette crise d’adolescence tardive. Elles avaient retrouvé leur raison d’être, loin des mirages de Barbieland. Aux Ken-Markets de trouver la leur. Le financement de l’économie réelle par exemple.