L’unique fonction d’une machine inutile est de s’éteindre elle-même une fois mise en marche. Les marchés financiers fonctionnent actuellement comme une machine inutile. Ils sont erratiques et sans direction.
Le signal donné par les Banques centrales est pourtant clair. La lutte contre l’inflation demeure leur préoccupation principale, mais les marchés préfèrent le bruit au signal.
Le bruit, c’est l’obsession, un peu malsaine, de la récession. Ce n’est pas qu’on la voit venir, c’est plutôt qu’on l’espère. Quitte à la provoquer par le jeu des anticipations auto-réalisatrices. Le bruit, c’est aussi la complaisance à l’égard de l’inflation illustrée par des breakeven trop bas.
Tout cela peut se lire comme les dernières manifestations d’une forte addiction aux taux bas et au QE, les deux mamelles de la prospérité de l’industrie financière ces dix dernières années. En sortir prend du temps.
Le concepteur de la première machine inutile, Claude Shannon, est aussi l’inventeur, avec Ed Thorp, du premier ordinateur portable, mis au point dans les années 50 et testé dans les casinos de Las Vegas. L’idée était de défier le pur aléatoire en tentant d’améliorer les probabilités de perdre moins vite.
Ce qu’ils ont fait en inventant la méthode du comptage de cartes appliquée au black-jack. Ed Thorp a compilé ses recettes dans le best-seller « Beat the dealer », la Bible de tous les joueurs, avant de les appliquer aux marchés financiers en lançant le premier fonds market neutral au début des années 70.
Je ne sais pas ce qu’Ed Thorp pense des marchés, mais leur mode de fonctionnement actuel ressemble à une partie de black-jack chaotique et jouée sans méthode.
Au black-jack, les probabilités changent aussitôt qu’une carte est donnée. il y a ainsi 1/13 chance que la première carte distribuée soit un as. S’il sort, les chances que la deuxième carte soit un as ne sont plus d’1/13, mais de 3/51 puisque le paquet compte à présent 51 cartes et qu’il reste plus que 3 as.
Dans un paquet de 52 cartes, il y a 52 x 51 x … 2 x 1 ordres possibles des cartes soit 8 x 10 exp 67. On estime à 10 exp 80 le nombre d’atomes constituant l’univers. Le nombre immense de combinaisons rend vain tout système de mémorisation. Thorp a découvert qu’en tenant simplement le compte des 5, le joueur pouvait juger si le talon était favorable. Le black-jack était devenu battable.
Sur les marchés, cette année, c’est à chaque publication de l’indice des prix US que les probabilités changent, celles affectées à l’ampleur des hausses de taux attendues de la Fed. Une hausse de 75 bps était considérée comme probable à 60% avant la publication, cette semaine, de l’indice du mois d’aout, et à 100% juste après. L’indice était pourtant guère différent de celui de juillet ni de ceux des mois précédents.
Cette volatilité, systématique, a quelque chose d’absurde, comme si l’aléatoire régnait en maitre alors que les Banques centrales n’ont jamais été aussi claires.