Notre sidération face au réchauffement climatique global et notre procrastination devant les mesures douloureuses et nécessaires à prendre tiennent fondamentalement à une double difficulté :
- La puissance d’attraction, l’éclat, toujours aveuglant, d’un âge d’or pourtant révolu, d’un bref interlude historique, à la fin du XIX siècle quand des savoirs nouveaux expulsent le climat de nos consciences inquiètes.
- L’absence d’un découvreur « héroïque du réchauffement climatique, d’un Galilée donnant les preuves ultimes d’un effet de serre provoqué par l’accumulation de carbone d’origine anthropique.
A partir de 1850, le triomphe du rail et du bateau à vapeur, l’augmentation de la production agricole et la globalisation de l’approvisionnement avaient déjà contribué à réduire la vulnérabilité aux aléas du ciel et brisé l’enchaînement récurrent entre événements météorologiques, mauvaises récoltes et disettes.
Surtout, à la fin du XIXe siècle, des savoirs nouveaux émergent qui conçoivent la vie en dehors des causalités climatiques. La microbiologie fournit aux médecins des coupables précis, les microbes, et invalide les liens directs entre le milieu et la santé. Avec les avancées de la génétique, l’hérédité se coupe de l’environnement, ses mécanismes se retranchent au cœur de la cellule. Les sciences sociales connaissent des mutations similaires. La sociologie en voie de formation se construit contre les explications de type naturaliste. Même chose pour l’économie : le courant « néoclassique » plus tard dominant se focalise sur la notion d’utilité et la formalisation mathématique excluant la contrainte physique.
La puissance du déni se renforce de l’absence d’incarnation de la cause du réchauffement climatique dans un découvreur charismatique dont la geste prométhéenne aurait arraché l’humanité à son ignorance. Ni Galilée, ni Newton, ni Pasteur. L’article de JB Fourier sur les températures du globe terrestre, écrit en 1824, est souvent cité comme point de départ de la théorie de l’effet de serre et de la prise de conscience d’un changement climatique. Fourier n’évoque pourtant jamais l’action humaine comme facteur explicatif d’une élévation globale des températures. En fait, les preuve incontestables d’un effet de serre provoqué par l’accumulation de carbone dans l’atmosphère sont un legs inattendu de la Guerre froide et de la dissuasion nucléaire. Les missiles balistiques équipés de charges atomiques sont au cœur de l’équilibre de la terreur.
La cartographie précise du globe, celle des températures aux pôles promus théâtres majeur de la 3ème guerre mondiale, la connaissance fine de la mécanique des flux atmosphériques deviennent des enjeux stratégiques. Les ressources dédiées explosent. Les services météorologiques de L’US Air Force compte plus de 11000 personnes en 1950. Les données s’accumulent, qu’une puissance de calcul exponentielle permet de toujours mieux traiter. Jusqu’à l’évidence du constat.