Mike le poulet sans tête, dit Miracle Mike, aurait survécu 18 mois après avoir eu tête tranchée le 10 septembre 1945 dans une ferme de Fruita, Colorado. Mike y a aujourd’hui sa statue, et son festival annuel, le Mike Headless Chicken Festival qui se tient chaque année en mai.
On espère que la période actuelle d’errance des marchés, sans repère depuis la désactivation par les Banques centrales de leur fonction de réassurance tous azimuts, durera moins longtemps. Mais la séquence de cette semaine, condensé caricatural d’un mode de fonctionnement maniacodépressif (défini comme l’alternance d’accès d’excitation et de dépression) devenu la norme n’augure rien de bon quant à la fin prochaine de la période de sevrage, et l’avènement de l’âge adulte des marchés. Dans un commentaire plein d’altière lassitude, Larry Summers se désolait récemment que le système financier ne semble plus pouvoir « encaisser » des taux à seulement 3%.
Reprenons la séquence : la réaffirmation par les Banques centrales réunies à Sintra de la primauté absolue de la lutte contre l’inflation sur les autres objectifs est suivie d’un effondrement des marchés actions et de crédit et d’un regain de tension sur les taux ; la publication d’indicateurs macroéconomiques en baisse aux Etats-Unis (indices PMI des directeurs d’achats et indices ISM manufacturiers), semblant plaider pour un resserrement monétaire moins agressif fait rapidement alterner accès euphorique et profonde dépression, accompagnés d’une détente historique des taux d’intérêt, notamment sur les taux courts européens. Ce contexte de nervosité extrême (je préfère ce terme à celui de volatilité qu’édulcore son caractère mesurable) est le terreau idéal pour la formation de prophéties auto réalisatrices.
Le concept a été introduit par le sociologie Robert K Merton avec son théorème de Thomas : « si les hommes considèrent des situations comme réelles, alors elles le deviennent dans leurs conséquences ». Les marchés veulent croire à l’imminence d’une récession, en dépit de taux de chômage, partout, au plus bas ; ils exigent une pause dans le cycle de remontée des taux (même pas amorcé en Europe), alors que les économies baignent encore dans les océans de liquidités créés par les interventions massives des Etats et des Banques centrales pendant deux ans. Peu importe. Créons les conditions du pire de peur qu’il n’advienne ! C’est un paradoxe bien connu. Au 1er siècle de notre ère, Pline le Jeune rapportait qu’à Pompéi, il y avait « des gens qui par peur de la mort appelaient la mort ». Une attitude que Sénèque dénonçait vigoureusement à la même époque : « Folie que de mourir par peur de la mort ».
La finance comportementale tente d’intégrer dans son corpus théorique ces pulsions primitives. Une finance psychotique paraitrait en l’occurrence plus adaptée. Sans sa tête pendant 18 mois, Mike le poulet a montré plus de bon sens que les marchés depuis le début de l‘année.