La finance responsable connait sa première vraie crise existentielle, et c’est paradoxalement une bonne chose.

Avec comme catalyseur la conjonction récente de plusieurs éléments :

  • La collision brutale des efforts pour lutter contre le réchauffement climatique sur le mur de l’indépendance énergétique
  • Les répercussions adverses à craindre des performances désastreuses de l’ensemble des classes d’actifs financières sur la priorité accordée par les investisseurs aux considérations extra-financières
  • La contestation ouverte de la Taxonomie européenne depuis l’inclusion en juin des secteurs du gaz et du nucléaire
  • Les difficultés d’application, par les sociétés de gestion, de la Réglementation SFDR, avec notamment un possible reclassement de 1500 fonds aujourd’hui article 9 en article 8 du règlement

L’interdiction explicite par le Texas et la Floride de l’inclusion de critères ESG dans la gestion des mandats d’investissement attribués par les deux Etats. Une provocation opportuniste qui s’explique aussi par l’approche des élections américaines de mi-mandat, mais l’impact du message est fort

La cause ne fait plus l’unanimité, mais l’unanimité n’est pas bonne en toutes choses.

Lorsqu’autrefois, le plus grand tribunal rabbinique, le Sanhedrin, se réunissait pour juger d’une faute susceptible d’entraîner l’application de la peine de mort, et qu’il y avait unanimité des juges en ce sens, l’accusé était acquitté.

Le Talmud ne veut pas d’une telle unanimité, car, à long terme, elle induit une vision manichéenne du monde, comme si le tribunal en question se prenait pour un tribunal divin.

L’éminent talmudiste Rachi ajoutait que l’accusé était acquitté pour que le jugement soit restitué à Dieu, à qui seul appartient la certitude d’unanimité. Chez l’homme, disait-il, c’est l’esprit du doute qui doit prévaloir.

La finance responsable ne se prend pas pour un tribunal divin. Elle dispose néanmoins d’un magistère moral indéniable. Le flottement actuel, salutaire, peut être un moment de doute constructif. On pourra notamment s’interroger sur :

  • Le greenwashing. Encore et toujours. L’affaire DWS a créé un certain effet dissuasif, mais que penser de l’écrasante domination des fonds monétaires et des ETF dans la masse des supports d’investissement ISR ? Il est difficile de soutenir sérieusement que l’investissement responsable soit entièrement soluble dans la liquidité
  • Un prosélytisme maladroit, qui a pu faire dire, par exemple, que le greenwashing n’était pas un problème mais constituait l’idiot utile de la cause. On entend moins l’argument, mais la vieille taupe du dogmatisme creuse toujours
  • L’idée que la finance responsable soit plus qu’un outil, une fin en soi. Une communication agressive entretient cette confusion dommageable. Elle offre un paravent à l’abris duquel peut prospérer l’inaction des Etats responsables ultimes du bien commun